Artiste de la saison
Livret scolaire

Le Siècle Molière
C’est un honneur pour moi de conceptualiser l’identité visuelle de cette saison marquante. Ayant été graphiste pour toute ma vie adulte, j’ai eu l’occasion de créer des centaines d’images, surtout aux fonctions publicitaires, au cours de ma carrière. Pour plus de dix ans, j’ai affiné mon habileté à interpréter les besoins de diverses parties et à traduire leurs visions artistiques sur papier. Où commencer alors, quand on me donnait carte blanche d’employer un style qui m’était propre?
Je suis fascinée par l’histoire et l’évolution de l’art au service de la communication, et je suis également interpellée par la nostalgie et les œuvres riches en détails. Pour mettre en valeur notre centenaire, je me suis inspirée de cette approche pour que les images parlent d’abord, captant le regard assez longtemps pour inviter ensuite à en découvrir le sens.
Pour aborder ce projet, j’ai donc joué avec l’approche maximaliste des affiches graphiques de l’Art nouveau. C’est un style qui cherche à être réinventé – comme dans les posters rock aux couleurs psychédéliques des années 1960. J’en tire donc inspiration sans chercher à recréer des images « historiques ».
Pour que chaque image parle d’elle-même, j’ai aussi tiré inspiration des vitraux des églises et des grands édifices : un vitrail parle sans connaître de langue. Il interpelle par ses couleurs vives et raconte une histoire grâce à des personnages et symboles familiers entourés de décorations généreuses.
Alors cent ans, ça ressemble à quoi? Je suis tombée rapidement sur l’analogie d’un grand et vieil arbre. Ce n’est pas très unique, mais je trouve que l’emploi d’un cliché peut être puissant. Un cliché est une image qui veut être accessible, qui permet à tous de tirer leurs propres conclusions. Branches qui poussent, cassent et poussent encore, racines qui s’enfoncent dans la terre où elles ont été plantées, feuilles qui tombent pour laisser leur place à de jeunes bourgeons… L’arbre centenaire est une métaphore pertinente pour l’évolution continuelle qui a permis au Cercle Molière de réclamer le titre de la plus ancienne compagnie de théâtre en activité ininterrompue de l’Amérique du Nord.
J’ai donc réveillé mes muscles de dessinatrice pour tenter de concrétiser les tableaux qui me sont apparus dans la tête. L’art de cette saison est un hommage aux richesses que nous héritons du dernier siècle de théâtre et une manifestation de l’art qui continuera d’y fleurir lors des cent prochaines années.
Arielle Morier-Roy

Pauline Boutal, entre les toiles et les planches
Aussi loin que je me souvienne, Pauline Boutal a toujours été pour moi plus légende que femme. L’espace où je suis tombée amoureuse du théâtre portait le nom de cette figure mythique, pionnière dont les actes historiques m’ont indirectement ouvert les portes des arts de la scène. Ne la connaissant que par son nom, il m’est fascinant de rencontrer, à travers cette pièce, une jeune Pauline dans toute sa force : une femme tenace, passionnée et généreuse.
Le parcours de dessinatrice de Pauline, présenté en parallèle avec les moments marquants de sa vie, m’a tout de suite captivée. Au-delà du français, le dessin était sa langue maîtresse : grâce à lui, costumes, décors et personnages prenaient vie. De ses croquis à la scène, elle accomplissait un véritable tour de magie.
Pour créer un portrait de la grande dame, j’ai tenté de saisir un fragment de cette magie. Pauline y est à la fois sujet et créatrice : les personnages qui l’entourent sont retracés à partir de ses œuvres – croquis de mode, esquisses pour la scène, bandes dessinées et tableaux peints. Dans certaines de ces caricatures, on reconnaît des visages familiers. Quelles figures de la vie de Pauline se dissimulent derrière ses personnages anonymes?
Élevée dans notre panthéon culturel, le portrait de Pauline est entouré d’un halo, telle la figure centrale d’un vitrail comme ceux que créait son père. Elle est entourée d’une communauté qu’elle a façonnée de son propre pinceau et, symbole de notre théâtre, est vêtue d’une robe rappelant les rideaux qui tombent sur la scène. L’héritage que Pauline nous lègue dépasse le Cercle Molière : c’est la communauté qui prospère toujours sur ces planches ainsi que les histoires vivantes que son art continue de raconter.
Arielle Morier-Roy - Illustratrice

Bonnes Bonnes
Bonnes Bonnes est un rare éclat de l’expérience chinoise-canadienne-française sur notre scène. Guidées par les perspectives contrastantes de trois femmes, les lignes entre les éléments dramatiques de la pièce se brouillent : sont-elles les personnages du récit, ou ses spectatrices? Leurs paroles sont-elles honnêtes, ou s’agit-il d’une performance pour le public ou pour elles-mêmes? Sommes-nous seulement témoins de la pièce, ou avons-nous aussi un rôle à jouer dans cette histoire?
L’incorporation d’une pièce française écrite en 1947 surprend à première vue, mais sert adroitement de sombre miroir pour Sophie, confrontée aux sentiments complexes que lui font vivre son intersectionnalité identitaire. Dans Les Bonnes de Genet, deux domestiques expriment leur mécontentement envers leur classe sociale en employant des stratégies d’adaptation très différentes. Leur regard est porté vers l’extérieur – elles ne se voient pas l’une l’autre, bien qu’elles partagent la scène.
Les éléments de ce spectacle peuvent être interprétés de divers points de vue - et il en va de même pour cette illustration. Le texte vertical sert-il à connecter ou à diviser les personnages? La symétrie de l’image sert-elle à mettre en valeur leurs similitudes ou fait-elle ressortir leurs différences? La sauce chili qui enrobe les personnages est-elle familière ou inconfortable? Va-t-elle tacher leurs vêtements ou les teindre d’un rouge porte-bonheur? Sophie, qui observe la scène, est-elle illuminée ou écrasée par son poids?
Bonnes Bonnes nous invite à examiner nos identités et la façon dont nous jouons nos propres rôles - peut-être que la réponse ne se trouve pas sur scène, mais dans ce que nous choisissons d’y voir.
Arielle Morier-Roy - Illustratrice

Cet été qui chantait
Dans l’esprit d’une retraite en nature, l’illustration de Cet été qui chantait est un hommage aux affiches vintage des destinations de vacances. On y voit Bernadette, sereine, contemplant un paysage pittoresque, comme figée dans une carte postale qu’elle aurait pu adresser à sa chère sœur.
Comment rendre justice aux paysages éclatants que Gabrielle Roy peint de ses mots? Elle sait révéler avec maîtrise la beauté des moments du quotidien, où la routine devient un événement marquant, où les petites créatures sont nos voisines d’à côté et où une gatte de boue s’avère aussi fascinante qu’une vaste forêt.
On aperçoit au loin les structures du village de Petite-Rivière-Saint-François, le massif, et un horizon si vaste que les détails s’y dissolvent. Au premier plan, la flore est à la fois familière et surprenante : du point de vue d’une petite personne en papier mâché, une quenouille ou une fleur prend l’ampleur d’un arbre.
La troupe de Cet été qui chantait fait le choix astucieux de mêler marionnettes à jeu de scène, paysages minuscules à décors de grande taille, espaces réels à paysages imaginés pour créer un panorama vibrant et évocateur, à la fois micro et macro. Il y naît dans la petite boîte noire du théâtre des émotions qu’on retrouve rarement loin de la nature : un sentiment de paix, de lenteur, de beauté.
Arielle Morier-Roy - Illustratrice

Ô Canada, té qui toi?
Mon défi principal en composant cette illustration résonnait avec celui des personnages : comment affirmer son identité lorsqu’on est le produit d’une multitude d’influences culturelles?
En arrière-plan, motifs de tissus africains se mêlent à flocons de neige inspirés du perlage métis pour créer un ciel hivernal à la fois frigide et chaleureux. Cependant, l’horizon rural dans lequel se déroule cette pièce n’est pas la véritable vedette du spectacle.
Cette place d’honneur revient à Louis, Jen et Amina qui se tiennent au centre de la scène, accompagnés du griot Ousmane au volant de l’autobus. Ces personnages se distinguent du paysage qu’iels surplombent en affichant leurs propres couleurs et en n’hésitant pas à dépasser le cadre dans lequel iels ont été casés. Tel un soleil sur la plaine, iels illuminent l’horizon (et surtout, notre scène) de leur joie de vivre contagieuse.
Arielle Morier-Roy - Illustratrice

Soutensions
La pression de satisfaire les attentes de sa mère et de la société étire la patience de Brandi jusqu’à la rupture. Gonflée au-delà de sa capacité, Brandi éclate sous la tension.
N’est-il pas le temps de réinventer notre portrait de ce que doit être une femme? En pensant aux frustrations de Brandi, l’image d’un vitrail représentant la Vierge Marie m’est venue immédiatement à l’esprit. Modèle idéalisé de la femme — chaste, maternelle, au destin prédéterminé - Brandi rejette ces notions sans remords et avec humour.
Cette illustration se veut un vitrail moderne célébrant toutes celles qui prennent en main leur destin et affirment leur choix, malgré le fracas provoqué lorsqu’on perce le ballon des conventions sociales.
Arielle Morier-Roy - Illustratrice

45, de la Taupinière
Lorsqu’on assiste à une pièce pour la première fois, on réalise soudainement que tout est possible au théâtre. Dans ce moment de découverte, la magie devient réalité. J’ai voulu, dans cette illustration, rappeler l’émerveillement de ces premières expériences théâtrales, quand on se laisse transporter dans un autre monde pour la toute première fois.
Sous un champignon — pardon, un « champiroc » —, Margot explore cet espace féérique en suivant la carte de son grand père. Sur le rocher poussent des soucis, ou marigolds, comme son nom, tandis que le ciel étoilé s’anime d’un mécanisme mystérieux.
45, de la Taupinière est un spectacle qui émerveille et enchante. Il nous invite, parmi les lumières qui percent la noirceur, à découvrir la magie d’un autre monde, caché juste sous notre nez.
Arielle Morier-Roy - Illustratrice

Arielle Morier-Roy
Arielle est une artiste graphique Queer, nerd, bricoleuse et multidisciplinaire.
Winnipégoise issue de Sainte-Anne au Manitoba, elle cultive ses passions pour l’art et le théâtre ainsi que son intérêt pour la sociologie autant dans ses projets publics que dans sa vie personnelle.
Vous avez possiblement déjà vu sa version stylisée du drapeau franco-manitobain sur des chandails de la SFM, son art graphique dans l’affichage de projets du CJP ou ses traits de pinceau sur la murale du jardin de sa mère. Vous l’avez peut-être déjà vu sur scène avec les troupes des Chiens des Soleil ou de B.S. Comedy, et plus récemment en train d’arbitrer un match de la Ligue d’improvisation du Manitoba ou d’improviser des personnages dans un jeu de Donjons et Dragons.
Arielle a rejoint l’équipe du Théâtre Cercle Molière il y a maintenant neuf ans et y travaille présentement en tant que graphiste. En plus de signer l’image des saisons 2018-2019 et 2022-2023, elle y a composé l’affichage pour d’innombrables évènements en cours de route. Elle est profondément reconnaissante d’avoir été choisie pour l’opportunité exceptionnelle de créer l’identité visuelle du Siècle Molière.